Très cordialement à vous,
L’équipe du Trinkhall.
La collection du Trinkhall est unique au monde et revêt un intérêt artistique et patrimonial exceptionnel. Patiemment assemblée depuis plus de quarante ans sous la bannière du Créahm, d’abord, du MADmusée ensuite, et aujourd’hui du Trinkhall, elle compte plus de trois mille pièces – peintures, dessins, gravures et sculptures – qui toutes ont été réalisées, en contexte d’atelier, par des artistes fragiles, généralement en situation de handicap mental, de déficience cognitive ou de grande fragilité psycho-sociale. Les œuvres proviennent du monde entier, de partout en Europe, d’Amérique et, dans une moindre mesure à ce jour, d’Asie et d’Afrique. Depuis l’ouverture du nouveau musée, une politique d’accroissement raisonnée et ambitieuse en assure de nouveaux développements et se fait garante de sa pérennité et de sa cohérence.
Son récent affranchissement des catégories esthétiques de l’art brut ou outsider lui confère une identité plus claire et permet de porter sur elle un regard profondément renouvelé. Pour le dire d’un trait, la notion d’art brut, privilégiée par les anciennes directions du MADmusée, minorait les dispositifs d’atelier pour mettre en avant l’imaginaire convenu de créations singulières, comme indépendantes des collectifs dont, pourtant, elles émanent, s’interdisant dès lors de penser la spécificité, l’identité-même de la collection et entretenant bien des ambiguïtés et des confusions quant à sa nature et aux possibilités de sa mise en œuvre. Maintenant que l’atelier n’est plus « mis sous le tapis », mais donné au contraire comme le fil rouge qui confère à la collection son unité et sa cohérence, c’est toute la politique de conservation, d’accroissement et d’exploitation de la collection qui se trouve à la fois clarifiée et dynamisée. Centrée sur l’atelier – sa poétique, son histoire, les mouvements qui en soutiennent l’émergence et le devenir, les conditions de création qui s’y jouent, les significations dont il est porteur, la place qu’il occupe dans l’histoire de l’art, le miroir qu’il présente à toute interrogation vraie sur la « possibilité de l’art » -, centrée sur l’atelier, la collection du Trinkhall constitue un instrument exceptionnel d’investigation, fût-ce parfois comme en contrepoint, des formes d’expression artistique contemporaines.
Le premier noyau de la collection s’est constitué au tout début des années ’80, à l’initiative de Luc Boulangé, fondateur du Créahm. C’est-à-dire que la collection accompagne, dès l’origine, l’extraordinaire mouvement qui a vu, dans le monde entier, la création d’ateliers ouverts à des personnes fragiles dans une perspective exclusivement artistique, et non plus occupationnelle ou thérapeutique, ainsi qu’il était d’usage, jusque-là, dans les institutions d’accueil et de soin. Dès lors la collection est le reflet et l’expression privilégiée, en toute sa variété, sa complexité et son épaisseur historique, de ce mouvement dont il importe aujourd’hui de reconnaître l’importance, tant du point de vue de l’histoire de l’art que, plus généralement, de l’histoire culturelle, sinon d’une histoire sociale élargie aux dimensions d’une anthropologie historique. Le « mouvement des ateliers », tel que l’on peut aujourd’hui le percevoir et le comprendre, apporte depuis la fin des années ’70 une réponse entièrement renouvelée à la question des « arts du dehors » ou des « arts aux frontières de l’art » qui, depuis la fin du XIXe siècle, hante, littéralement, la création moderne et contemporaine. Avec le « mouvement des ateliers », c’est l’idée-même de frontière qui se trouve questionnée et très profondément réorganisée, mettant cul par-dessus tête, en quelque sorte, les relations entre l’ici et l’ailleurs, le dedans et le dehors, qui avaient longtemps commandé la réception des « arts du dehors » et les processus esthétiques, sociaux et culturels de leur « artification ». La collection du Trinkhall, outre son intérêt intrinsèquement artistique, est la vivante archive de ce mouvement, la mémoire et le témoin privilégié de l’expérience continuée dont l’atelier, partout dans le monde, est le théâtre. Elle rend visible ce mouvement et, enfin, en rend possibles la pleine reconnaissance et l’étude approfondie.